Les modifications projetées sont substantielles. Elles affectent la notion même de pluralisme des médias et la soustraient à une procédure d’évaluation efficiente.
A. L’abandon du pluralisme structurel
Le Gouvernement explique cette orientation par le fait que ce qui importe, dans la notion d’offre pluraliste, c’est la nécessité d’avoir une pluralité de services reflétant une diversité la plus large possible d’opinions et d’idées, mais aussi d’expressions socio-culturelles.
La garantie d’une telle diversité n’est, à son estime, pas automatiquement liée au fait d’avoir une pluralité de médias indépendants et autonomes, laquelle n’est donc pas intrinsèque à la définition de l’offre pluraliste.
L’article 7, § 1er de l’avant-projet de décret modifiant le décret SMA se lit ainsi comme suit : « L’exercice d’une position significative dans le secteur audiovisuel par un éditeur de services ou un distributeur de services, ou par plusieurs de ceux-ci contrôlés par une même personne physique ou morale, ne peut porter atteinte à la liberté du public d’accéder à une offre pluraliste dans les services de médias audiovisuels.
Par offre pluraliste, il faut entendre une offre médiatique à travers une pluralité de services reflétant la plus large possible de courants d’expression socio-culturels, d’opinions et d’idées ».
Si l’ajout de la référence aux « courants d’expression socio-culturels » n’a pas suscité de débats, en revanche, la suppression de la notion de « pluralité de médias indépendants et autonomes » a, elle, été au cœur des discussions du Collège d’avis. La proposition de suppression de cette notion ne peut être juridiquement défendue, compte tenu des standards jurisprudentiels et démocratiques actuels lesquels militent en faveur de son maintien (cf. nos propos introductifs).
B. Le renoncement au maintien d’une procédure d’évaluation du pluralisme efficiente
L’avant-projet de décret modifie l’article 7, § 2 du décret SMA comme suit : » Lorsque le Collège d’autorisation et de contrôle constate l’exercice d’une position significative, il engage une procédure d’évaluation du pluralisme de l’offre dans les services de médias audiovisuels édités ou distribués par les personnes morales visées au §1er.
Le Collège d’Autorisation et de contrôle peut constater l’exercice d’une position significative notamment :
– lorsque l’addition des parts d’’audience des services télévisuels d’un éditeur ou de plusieurs éditeurs contrôlés par une même personne physique ou morale atteint 35% ;
– lorsque l’addition des parts d’’audience des services sonores d’un éditeur ou de plusieurs éditeurs contrôlés par une même personne physique ou morale atteint 35% ».
Le projet de texte envisagé par le Gouvernement supprime purement et simplement le critère de détention capitalistique, lequel est remplacé par la notion de « contrôle » au sens de l’article 5 du Code des sociétés.
Concrètement, la preuve de la détention d’au moins 24 % du capital d’un autre éditeur ne suffit plus à enclencher la procédure d’évaluation du pluralisme.
Le texte requiert la démonstration d’un pouvoir de droit ou de fait d’exercer une influence décisive sur la désignation de la majorité des administrateurs ou gérants de la société ou sur l’orientation de sa gestion (De Wolf (M.), De Ridder (M.), Les groupes de sociétés en droit comptable: l’obligation d’établir des comptes consolidés, Vanham & Vanham, 2003, p. 4).
Le Collège d’avis fait observer que la modification envisagée est susceptible de poser des problèmes de praticabilité de la mesure, compte tenu des difficultés à prévoir quant à l’accès à certaines données, dont certaines sont rendues publiques par le Code des sociétés, alors que d’autres ne le sont pas.
Outre ces difficultés d’opérabilité de la mesure envisagée, celle-ci s’accompagne d’une augmentation significative des seuils de déclenchement de la procédure d’évaluation du pluralisme, en passant de 20 à 35 % des parts d’audience cumulée, sans pour autant que cette augmentation soit justifiée sur la base de critères objectifs, privant ainsi de tout effet utile les mesures de sauvegarde du pluralisme.
Pour paraphraser les conclusions du Collège d’avis, en positionnant le seuil déclencheur au-dessus de l’actuelle position d’audience du plus important groupe de média privé, la réforme soustrait à la régulation du CSA de manière quasi-automatique la capacité d’apprécier ce qui constituera dans les prochaines années les éléments constitutifs de la liberté du public de bénéficier d’une offre pluraliste.
Bien que le texte puisse soulever certaines réserves de la part du secteur, la saisine du Collège d’avis par le Gouvernement, le travail impressionnant fourni par les services du CSA et la qualité de la participation des acteurs du secteur constitue un bel exercice démocratique qu’il convient de saluer.
Par Vincent Chapoulaud, avocat associé, spécialiste des questions de régulation