« C’est une gigantesque boîte de Pandore qui s’est ouverte »

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Les récentes modifications du décret introduisent une augmentation des quotas musicaux en radio pour les œuvres issues de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Une occasion pour nous de rencontrer Serge Jonckers, Music Content Manager chez RTL Belgium et « Maître Serge » sur les ondes de Bel RTL, et discuter des différentes évolutions du secteur musical. 

Depuis 2008, le CSA contrôle les quotas de diffusion des radios et a pu constater une augmentation progressive de la présence des artistes FWB sur les ondes. Est-ce que cette augmentation progressive est le reflet d’une augmentation de la production musicale de la Fédération Wallonie Bruxelles? Ou est-ce au contraire la programmation des radios qui a évolué pour valoriser de plus en plus les contenus locaux ?   

Selon moi, c’est un peu la conjonction des deux. Dans l’histoire des quotas, l’argument des radios au départ était de ne pas pouvoir les tenir, soit parce que la production n’était pas suffisante, soit parce que ce qui était produit ne correspondait pas à leur format. Lentement mais surement, on s’est aperçu qu’il y avait une production qui commençait à s’adapter au format de certaines radios. Pendant la crise sanitaire, quand le secteur de la musique et des arts de la scène a poussé un cri d’alarme, il y a eu une sorte d’unanimité dans les radios, quel que soit leur format, pour essayer de faire quelque chose et apporter leur pierre à l’édifice pour soutenir la production locale. Chez Bel RTL, on ne s’est pas dit : « on ne va pas tenir le coup, on ne va pas y arriver parce que certaines semaines il n’y aura rien ». Et bien non, pas du tout, on y est arrivé. C’est un travail d’investigation que les radios doivent faire et dire « ce n’est pas possible », c’est extrêmement réducteur. 

Je suis extrêmement optimiste quant à l’avenir de la production musicale en Fédération Wallonie Bruxelles parce qu’on n’a jamais reçu autant de propositions. On nous incite aussi à écouter et à découvrir des artistes grâce à des moyens de diffusion qui se sont démultipliés et c’est beaucoup plus facile. Avec la multiplicité des formats, des plateformes et des moyens de découvrir et d’écouter de la musique, c’est une gigantesque boîte de Pandore qui s’est ouverte. 

Il y a de plus en plus d’artistes émergents et c’est une partie non négligeable du travail des radios. Je dis toujours aux équipes qui travaillent ici que notre travail est aussi une question de feeling et qu’il faut mouiller notre chemise. Programmer un titre peut marcher et peut ne pas marcher. Nous ne sommes pas devins mais, avec l’expérience et au regard de ce qui se fait aujourd’hui, de ce que les gens écoutent et la façon dont ils consomment de la musique, on peut deviner si un titre a une chance en radio, et il faut y aller. C’est vraiment très important.  

L’augmentation de la musique et des artistes en FWB est liée à l’état du marché mais aussi à la démarche des radios qui veulent jouer le rôle de passeur et d’incitant. C’est un rôle important car il s’agit de mettre en valeur les titres et les artistes. C’est ce qui fait notre spécificité. J’ai toujours été un peu contre la production d’émissions spécifiques à de la musique belge. Pour moi, la musique belge ça n’existe pas ! Ça n’a aucun sens ! Des artistes qui ont la nationalité belge, ça oui. Ykons, Axelle Red, Maurane, je ne leur trouve aucun point commun à part leur nationalité. Les artistes de nationalité belge, il faut les traiter sur un même pied d’égalité que les grands artistes internationaux. Quand vous passez Elton John et Mickael Jackson et puis que vous enchainez avec un groupe de Liège, vous le traitez sur le même pied d’égalité. C’est plus valorisant.  

On s’étonne parfois que les artistes que nous découvrons sur scène en festival ne sont pas diffusés en radio. Pourquoi ?  

Le format d’une radio est intimement lié à son ADN. Il y a différents formats et chacun a ses spécificités. Le programmateur de festival et le programmateur de radio ce n’est pas tout à fait le même métier…quoi que… 

On peut s’étonner du fait qu’en festival, on découvre un artiste dont on n’a jamais entendu parler sauf ceux qui suivent cet artiste sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux et les plateformes de streaming ont complètement changé la donne.  

C’est par exemple le cas des débuts de Romeo Elvis. Je n’en avais jamais entendu parler mais ma fille le connaissait très bien. Elle a été le voir en concert dans des petites salles et à chaque fois c’était plein. De fil en aiguille, on se rend compte que les artistes arrivent à fédérer une communauté. Les programmateurs radios doivent absolument en tenir compte. 

Les maisons de disques ont aussi très bien compris cela. Ils doivent aller voir sur les plateformes et sur les réseaux sociaux. Ce ne sont plus les artistes qui sont à l’affut mais les maisons de disques.  

La scène est revenue à sa juste valeur et le fait qu’on y découvre des artistes est lié à ces évolutions. On nous bassine depuis 30 ans que c’est la crise du disque. Au début des années 90, personne n’a cru à l’arrivée d’Internet. Les quatre grands majors ont fait une erreur stratégique monumentale. On s’est aperçu que le piratage et les plateformes pouvaient mettre à mal le business modèle qui avait été établi depuis une quarantaine d’années. Les maisons de disques ont vécu leurs belles années et ont dû absolument se retourner pour leur survie. Elles ont dès lors écumé internet pendant tout un temps pour se ruer sur les artistes et leur proposer des contrats.  

Aujourd’hui, les artistes ne signent plus n’importe quoi et plus à n’importe quelle condition. Je crois que c’est essentiellement toute la dynamique des réseaux sociaux qui donnent un coup d’accélérateur à certains artistes. Evidemment ce n’est pas un monde à la Walt Disney où tout le monde est beau et gentil. Non, il fait savoir exactement ce que l’on fait, et ce n’est pas évident mais c’est ce vers quoi les nouveaux consommateurs de musique vont.  

Est-ce qu’une carrière musicale est indissociable de la diffusion des œuvres en radio ?  

C’est une grande question. D’un côté on a la musique « mainstream », de l’autre on a la musique alternative. Cette musique alternative, comme la musique dite industrielle, le hardcore, le trash, le punk, on ne l’entendra jamais à la radio. C’est une musique dite de niche mais qui a son public. Ces artistes ont leurs réseaux, leurs fans, leurs événements.  

A côté de cette musique alternative, une récente étude démontrait que la façon de faire de la musique, de composer les morceaux avait complètement changé. Les plateformes ont imposé un format bien particulier et les radios s’adaptent également tant bien que mal. Aujourd’hui, on compose des titres de 2’45’’ parce que selon la théorie et les études, l’auditeur décroche au-delà. Les Black Eyed Peace, quand ils sortaient un single, ils l’enregistraient pour le MP3. Le MP3 a été le maître absolu pendant un moment et on composait la musique en fonction de ce format, dans les sonorités, dans les bass, … le travail de studio était totalement différent. Les radios, elles, soit elles s’adaptent soit elles passent outre en revendiquant leur format de 3’10’’ qu’on appelle le Radio Edit. 

Pour une carrière musicale, un artiste qui a la chance d’être multi formats et qui peut-être diffuser aussi bien sur Vicacité, Nostalgie, Bel RTL, Radio Contact et même sur Classic 21, c’est parfait pour cet artiste, c’est une exposition supplémentaire aux réseaux sociaux et aux plateformes…A ce moment-là, oui, ça peut être très intéressant d’être diffusé en radio. 

Le fait qu’un artiste puisse passer partout, montre aussi que les formats deviennent de plus en plus uniformes. Quatre-vingts pourcents des back catalogues des radios généralistes et des radios musicales sont quasi identiques. Avant, on pouvait identifier une radio rien qu’en écoutant un titre. Avec les années, on a l’impression que les catalogues se réduisent de plus en plus et, s’ils se réduisent, il est important de rester dans l’air du temps. C’est peut-être aussi une raison pour laquelle le caractère local a un regain d’intérêt. Il permet de sortir des sentiers battus et de se distinguer. Pour cela, il est important de suivre son intuition. On a tendance à tout réduire à des études, à du marketing, … D’accord, c’est un instrument de travail, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga du métier.  

Vous nous expliquez tous les facteurs qui ont fait et qui font évoluer l’industrie musicale. Quel avenir pour celle-ci et quel regard portez-vous sur ces évolutions ? 

Les chiffres sont là. Le digital prendra le pas de façon inéluctable sur le physique. Le produit physique devient un objet de luxe. Quand on nous dit que le vinyle revient en force, c’est facile de revenir en force quand on ne repart de rien. Il est devenu un objet très tendance, qui coute trois fois plus cher qu’un CD, ce qui est un comble parce qu’au départ c’était l’inverse. Aujourd’hui, le vinyle retrouve un peu de ses couleurs. C’est un bel objet, c’est très vintage. On est dans la culture du vintage qui a certainement encore de beaux jours devant elle. Il suffit de voir aujourd’hui, les grosses sorties CD ne sont que des rééditions de luxe. Tout est prétexte à anniversaire. L’industrie l’a très bien compris, c’est un marché qui a un potentiel. On recycle constamment le back catalogue avec parfois des prix exorbitants. Mais c’est le digital qui prendra le pas parce que le consommateur de musique, la musique qu’il écoute, il ne la possède pas. La musique qu’il écoute, il la loue. Cette Ubérisation de la musique est inéluctable parce que les modes de consommation actuels sont comme ça. Le marché va se diriger de plus en plus dans cette direction et les artistes aussi. Ils commencent à se rendre compte qu’avec les maisons de disque, s’ils n’ont pas un bon contrat de distribution, ils doivent créer leur propre plateforme, leur propre distribution.  

On aura sauté complètement le pas quand les enfants de nos enfants ne pourront plus dire ce qu’est un vinyle ou ce qu’est un cd. Depuis tout petit, ils auront pu consommer à satiété et à l’infini la musique en digital. C’est une question de temps. 

L’avantage de tout ça, c’est que les auditeurs potentiels, les consommateurs de musiques ont à disposition de nouveaux modes de consommation qui leur permettent d’aller faire leur marché, qui les incitent à aller découvrir des choses qu’on n’entend pas dans les médias traditionnels. Le digital est l’avenir. Le contrat d’artiste a encore de beaux jours devant lui mais c’est de plus en plus l’artiste qui prend le pas sur la maison de disque. La promotion, le marketing resteront toujours mais, de nouveau, ce sont de plus en plus les artistes qui s’en chargent eux-mêmes. Ils sont suffisamment malins pour maîtriser les codes. C’est ce que fait Stromae par exemple. De A jusqu’à Z, il maitrise tout. C’est le maître mot de tous les nouveaux artistes que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Ce n’est plus une maison de disque qui exigera d’avoir 2 albums par an, qui exigera un album live, qui exigera d’avoir son pourcentage sur les tournées,etc. L’artiste va redevenir quelque part le maître du jeu et c’est une bonne chose, selon moi. 

Et la radio au milieu de tout ça ? 

On nous pose souvent la question. « Toutes ces plateformes font un peu votre boulot avec ces playlists qui se font automatiquement ? » La seule chose que les plateformes ne font pas, c’est la mise en contexte et elle doit rester la force de la radio. Une plateforme va vous programmer une playlist « personnalisée » en fonction de ce que vous avez écouté mais la contextualisation n’est pas là. C’est plutôt froid et impersonnel. Sur Bel RTL, dans nos émissions musicales, on essaie de raconter une histoire autour des titres et c’est la force de la radio. On utilise aussi des logiciels de programmation mais les plateformes restent plutôt mécaniques et froides quelle que soit la puissance de leur logiciel. La radio doit être souple, doit pouvoir raconter une histoire, doit pouvoir mettre en contexte. Si la radio ne fait pas ça, à ce moment-là, plus personne ne l’écoutera. Les plus jeunes, lentement mais surement, se détachent de la radio. Il faut essayer de les capter aussi. Un auditeur qui a 20 ans qui écoute Bel RTL, il faut essayer de le garder car c’est notre auditeur du futur. Si on le perd et qu’il va ailleurs, il faut vraiment se poser une question. 

Les quotas pour vous c’est une contrainte ou un objectif pour une radio ? 

C’est un peu des deux, dans la mesure où le fait d’imposer des quotas obligent les radios à se mettre en question et les obligent à faire un travail d’investigation. Mais s’il n’y en avait pas, il y aura toujours des cowboys qui estimeraient qu’ils n’en ont rien à faire et qui feraient juste leur business. En fonction des formats, il faut se fixer des objectifs et ne pas avoir peur dans un premier temps de la jouer raisonnable. Si je vous disais que demain sur Bel RTL on entendra 80% de musique FWB, je peux vous dire que plus personne ne nous écoutera. Ça ne veut pas dire que la musique qu’on va proposer n’est pas bonne, c’est juste une question de dosage.  

En fonction de ses formats et de son ADN, la radio va essayer de tendre le plus possible vers une mise en valeur des artistes locaux. Il y a moyen, surtout au vu de la production actuelle. A une époque, c’étaient toujours les mêmes artistes qui étaient diffusés pour atteindre les quotas. C’étaient Pierre Rapsat, Axelle Red, Maurane, Salvatore Adamo et un peu Arno. On tournait autour de ces cinq artistes là et c’était compliqué de trouver de nouveaux artistes. On se plaignait un peu, à juste titre, que la production ne suivait pas ou n’était pas à la hauteur de ce qu’on diffusait. Aujourd’hui, le discours à complètement changer. La production des artistes qui arrivent sur le marché est à la hauteur de ce que on est en droit d’attendre de l’air du temps en 2021.  

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