Sooner : une force belge inscrite dans un réseau européen

Lacour Maxime: SoonerRégulation | Régulation

La vidéo à la demande gratuite et payante (VOD), c’est un vaste paysage dont la croissance a explosé. Et pour preuve, le chiffre d’affaires de la vidéo à la demande en Europe a été multiplié par trente ces dix dernières années comme en témoigne le dernier rapport de l’Observatoire européen de l’audiovisuel. La dernière étude « Médias : Attitudes et Perceptions (MAP) » du CSA va dans le même sens. La VOD est désormais inscrite dans les habitudes quotidiennes des Belges francophones. À l’origine de cette croissance, il y a les géants Netflix, Amazon, Disney et consorts, mais il s’est développé une autre approche, plus locale, plus proche de ses consommat.eur.trice.s, et qui entend réconcilier VOD et cinéma d’auteur et indépendant. Ce projet, c’est UniversCiné. Il a été lancé il y a une quinzaine d’années par d’une cinquantaine de producteurs français. Une version belge a été créée en 2008 et compte aujourd’hui 36 distributeurs et producteurs indépendants et un total de 115 sociétés actionnaires directes ou indirectes et ce répartis entre la Belgique, la France et le Luxembourg. Deux catalogues (UniversCiné et UnCut) ont été initialement créés. Un développement majeur a été lancé depuis l’été 2020 sous la marque « Sooner » par la fusion de ces deux catalogues.  Cette opération a permis de constituer une offre audiovisuelle riche et locale énorme puisqu’elle propose aujourd’hui quelques 7000 films sur sa plateforme et se présente comme un label dont l’objectif prioritaire est de s’intégrer dans un déploiement européen. 

Sur fond des chiffres et tendances de l’étude MAP du CSA, rencontre avec Maxime Lacour, CEO de Sooner 

L’analyse qualitative de l’étude MAP révèle qu’un certain nombre de consommateurs sont prêts à payer pour avoir accès à des contenus spécifiques, comme un film d’auteur ou dans une langue originale particulière. Sooner est-il conçu comme une réponse à cette demande de contenus plus « spécifiques » ? 

C’est clairement notre ADN. Nous n’avons pas l’ambition de concurrencer les pure players américains mais cela ne nous empêche pas de travailler avec eux. Nous nous considérons, disons, comme un middle-player sur le marché de la VOD. On propose à la fois de l’entertainment, mais aussi du cinéma indépendant. Notre approche est avant tout locale et au plus près des publics. 

Le marché de la VOD est en pleine expansion en Europe et compte aujourd’hui une quarantaine de plateformes OTT européennes de référence. Ce que nous proposons, c’est de rassembler sous un label la production de films de cinéma d’auteur et indépendant qui n’a pas sa place sur des plateformes mainstream comme Netflix, ni-même sur celles des télédistributeurs belges. Notre stratégie est d’éditorialiser un maximum nos contenus pour nous adresser à tous les publics. Nous avons, par exemple, produit plus de 400 capsules vidéo en lien avec les films que nous présentons et les réalisateur-rice-s. Nous essayons aussi de travailler avec des films en lien avec l’actualité ou en étant partenaire de festivals de films, d’institutions culturelles. Ces partenariats sont très importants, car ils nous permettent d’exister dans l’actualité et de nous approcher de nos publics. 

L’étude montre que certains acteurs internationaux possèdent une force de frappe totalement inédite, avec des contenus d’une variété infinie et destinés à assouvir les besoins du grand public. Sooner se présente quant à elle comme une marque pan-européenne avec des versions différentes selon les pays (Belgique, Allemagne, Luxembourg, Suisse et Autriche). Pour une telle plateforme, la clé du succès est-elle de miser sur une identité locale proche des habitudes du public de chaque pays, ou plutôt une marque forte reconnue sur l’échelon européen ? 

Nous avons une force locale qui s’inscrit dans un projet européen. C’est de cette manière que l’on peut résumer notre approche. Avoir un positionnement global d’une offre locale est très difficile pour des questions d’acquisition en Europe. Les droits d’auteur sont territorialisés. C’est aussi ce qui fait la richesse de notre catalogue et qui leur permet de préserver une dimension locale. Sooner propose donc une approche « multi-territoriale » plutôt qu’internationale. La marque Sooner est présente aujourd’hui dans 5 pays européens, bientôt 7. Nous avons des équipes distribution, marketing et éditoriale locales, mais notre label et notre technologie sont mutualisés. On bénéficie donc du poids d’un label commun, mais d’une indépendance éditoriale pour chaque territoire. 

La nouvelle directive européenne sur les services de médias audiovisuels impose désormais aux plateformes VOD établies en Europe de proposer au moins 30% d’œuvres européennes dans leur catalogue. Est-ce une bonne nouvelle pour le cinéma européen ? 

Je pense que seuls les plus gros producteurs européens qui ont les moyens de s’associer avec les pure players américains vont tirer leur épingle du jeu. Les exploitants de salles, les distributeurs locaux et les petits producteurs n’ont rien à y gagner, au contraire. Il risque même d’y avoir un impact négatif sur le secteur d’un point de vue économique, mais aussi culturel. Il faut voir qui sont vraiment ces grands acteurs. Ils représentent près de 80% des parts de marché du streaming en Europe avec un catalogue peu diversifié. Leur créneau, c’est de proposer un contenu universel. Il y aura nécessairement un lissage des productions locales pour qu’elles entrent dans ce modèle universel. 

On a voulu réguler les plateformes américaines mais je redoute surtout l’impact sur les plateformes européennes existantes. Avec cette nouvelle obligation, on leur sert presque une cerise sur le gâteau, parce qu’on les lance sur un segment qui, a priori, n’était pas le leur, mais dans lequel des plateformes européennes comme Sooner se sont spécialisées. C’est ce qui correspond à la demande de nos utilisateurs, qui veulent voir sur Sooner plus de diversité de contenus que ceux proposés par les plateformes généralistes. 

L’étude révèle que la RTBF Auvio est connue de 71,1% consommateur. trice.s de VOD et utilisée par 57% de ceux.celles qui ont déclaré connaître ce service, RTL Play est connu de 66,4% des consommateur.trice.s de VOD et utilisé par 27,6% de ceux.celles qui ont déclaré connaître ce service. Quelles raisons ont amené Sooner à collaborer avec la plateforme belge francophone Auvio, outre la simplicité d’utilisation ? Une collaboration similaire avec RTL Play ou les câblodistributeurs serait-elle également envisageable ? 

Collaborer avec des partenaires locaux est très important pour un service comme Sooner. C’est que nous faisons et avons toujours essayé de faire.  Pour mémoire rappelons que nous avons fait quelques tentatives. En 2015 et 2016, nous proposions un service de vidéos à la demande de près de 400 films sur Proximus pour 10 euros par mois. Pour diverses raisons, cette offre ne s’est pas poursuivie. Avec la RTBF, nous avons eu de nombreux échanges, avec de nombreux autres interlocuteurs également, pour réfléchir à la manière dont nous pourrions créer une synergie. Finalement, nous avons décidé d’intégrer une partie (plus de 1700 films aujourd’hui) de nos contenus sur la plateforme Auvio. C’est la RTBF qui reste l’éditeur mais nous leur proposons des collections et nous dialoguons sur la meilleure façon de présenter cette offre. De l’extérieur, ça peut sembler naturel que des acteurs locaux collaborent entre eux, surtout quand on voit le déploiement des acteurs étrangers chez nous, mais chacun a ses spécificités, son ADN et ses objectifs. C’est un long cheminement pour aboutir à une bonne collaboration. Chez Proximus, nous essayons de collaborer pour qu’il propose nos contenus. Netflix et Disney sont des acteurs inévitables pour Proximus, pour nous ça prend plus de temps. La nouvelle box de Proximus devrait désormais permettre d’intégrer des plateformes comme Sooner. 

À côté des nouvelles obligations pour les pure players américains destinées à mieux valoriser la production audiovisuelle locale, il faut surtout se demander pourquoi un service comme Sooner, qui compte près de 7000 films dont plus de 70% de films européens à la demande et plus de 800 films belges, ne trouve pas encore une place sur des plateformes de distribution nationale comme Proximus ou Telenet. Au Grand-Duché de Luxembourg, nous avons pu réaliser cette intégration en trois mois sur les boxs de l’opérateur Post Telecom. 

Outre la volonté réelle de collaborer, une solution que nous présentons depuis 2010 pourrait consister à intégrer des plateformes aussi importantes que Sooner dans le principe de must-carry[1] et considérer la grande diversité de ces contenus d’intérêt général.  

Au regard des enseignements et recommandations de l’étude MAP, quel serait, selon vous, l’enjeu majeur en matière de consommation de médias audiovisuels, à court ou moyen terme ? 

Il est devenu déterminant de savoir comment articuler une intégration cohérente de tous les acteurs belges de la VOD (comme nous le faisons déjà avec Auvio) mais aussi avec un ensemble d’autres initiatives qui morcellent encore d’avantage le marché. Il faudrait sans doute une alliance forte, mais il faudra aussi éviter de se cannibaliser les uns des autres, que tous les acteurs soient représentés. Cela passe d’après nous par le must-carry. Nous avons trouvé le moyen d’entamer une collaboration avec Auvio et je suppose qu’à terme Auvio trouvera le chemin pour être disponible sur Proximus, tout comme BeTV a pu y trouver sa place. Pour nous, le véritable enjeu, c’est de trouver le moyen de collaborer avec tous les acteurs, qu’ils soient festivals, exploitants, distributeurs, éditeurs de services VOD, médias audiovisuels, tout en préservant notre identité et la diversité des contenus que nous proposons. C’est un long cheminement. Entre-temps les pure-players US, déjà présent sur notre marché, ou qui vont arriver, que ce soit HBO Max, Molotov TV, Pluto TV, etc…  prennent chaque jour encore d’avantages de place dans le paysage audiovisuel belge et particulièrement aux yeux du public belge. La véritable révolution du secteur audiovisuel a un impact décisif sur la diversité culturelle. Nous espérons pouvoir poursuivre notre rôle de passeur, de middle-player du marché de la VOD, en Belgique mais aussi dans le cadre plus large de Sooner en Europe.  

En savoir plus sur l’étude MAP

Plus d’articles sur la consommation des médias


[1] Le must carry est une obligation pour les distributeurs de services de médias audiovisuels de diffuser certaines chaînes de télévision et de radio que le décret sur les services médias audiovisuels (SMA) ou le Gouvernement de la Communauté française désigne comme relevant de l’intérêt public. Le grand public est donc assuré d’avoir accès à ces programmes sur les plateformes les plus usuelles.

   Send article as PDF