Le jumelage entre le CSA et son homologue tunisien la HAICA bat son plein. Depuis décembre 2018, les deux instances de régulation se sont engagées dans un projet de collaboration unique et intense. Et c’est peu dire puisqu’en décembre 2020, le projet se clôturera avec, au compteur, plus de 300 jours d’activités à Tunis entre les expert.e.s concerné.e.s et autant de jours de préparation. Depuis la Tunisie, jusqu’en Belgique, en passant par la France et l’Italie, les visites d’étude se multiplient. Objectif : mieux comprendre comment fonctionne l’autre pour mieux se repenser.
Quand on parle de régulation des médias, le CSA et la HAICA se veulent complémentaires. Deux petits territoires aux enjeux pourtant différents. Le premier existe depuis longtemps, il peaufine sa régulation et explore de nouveaux terrains. L’autre est une jeune instance coulée dans le marbre constitutionnel dans la foulée du Printemps arabe. Il a fallu rapidement mettre les choses en place pour répondre à l’enjeu démocratique que représente la régulation des médias en Tunisie. Un défi organisationnel que la HAICA a relevé puisqu’aujourd’hui, l’instance occupe bel et bien sa place au cœur du paysage médiatique et dans l’esprit des citoyens et des citoyennes tunisiennes.
En Tunisie, 30 personnes observent les médias en permanence
En mars dernier, Omar Weslati, Vice-Président de la HAICA et Salah Essersi, membre de son Conseil, ont visité le CSA belge. Le programme était bien rempli et c’est en fin de semaine qu’on aura eu le temps de s’installer et de discuter avant leur retour à Tunis. En quelques jours, nos homologues ont pu se faire une idée claire de la manière dont le CSA fonctionne et instruit ses dossiers. « J’ai pu constater qu’au CSA, les plaignant.e.s sont souvent à l’origine des instructions que vous menez. À la HAICA, en plus des plaintes, nous accordons une place très importante au monitoring. Une trentaine de personnes chez nous observent les médias et rapportent les infractions directement au Conseil qui prend ensuite des décisions. ».
Pour Omar Weslati, si le moteur des deux instances fonctionne différemment, c’est sur la manière dont sont instruits les dossiers qu’une réflexion peut naître. « À la HAICA, tout peut aller très vite. Lorsqu’une infraction est constatée, le Conseil peut prendre une décision en quelques jours. Au CSA, la procédure est clairement plus longue. Ça peut être problématique à mon sens lorsqu’une sanction tombe parfois 6 mois après les faits. Il ne faut pas oublier l’impact que peut avoir l’actualité dans l’efficacité d’une décision ». Et Salah Essersi d’ajouter : « Si on arrive trop tard, on ne répare pas et on n’agit pas de la
même manière dans l’esprit des publics. Une décision doit avoir une dimension pédagogique ».
À la HAICA, la rapidité est le maître mot et s’avère nécessaire dans la période de transition que connaît la Tunisie aujourd’hui. Les plaintes et instructions sont multiples en matière de discours de haine et/ou incitant à la discrimination, de respect de la dignité humaine et de l’égalité femme/homme. Un rythme qui lui impose d’aller vite pour répondre aux attentes des publics. Mais cette rapidité « ne doit pas se faire à n’importe quel prix », reconnaît le Vice-Président de la HAICA.
La question du « monitoring » et de « l’instruction des plaintes » représente un volet conséquent du jumelage et ce n’est pas pour rien. En Belgique, le CSA accorde une place importante à la motivation d’une décision et au droit de la défense si bien que la procédure peut parfois s’avérer laborieuse. À la HAICA, les infractions parviennent au Conseil en flux tendu au point où ce dernier doit parfois faire face à un « dumping décisionnel ». « Je pense que nous devons repenser certaines procédures, car notre
force est aussi parfois un problème. Je voudrais pouvoir mieux cadrer les instructions et opérer certains choix. Ce qui est intéressant au CSA, ce sont les étapes qui mènent à la décision. Vous disposez de services et de juristes qui préparent en détail les décisions du Collège alors que chez nous, les infractions sont directement rapportées. Les motivations de certaines de vos décisions font la taille d’un livre. C’est
un peu trop long tout de même, mais ça témoigne d’un professionnalisme impressionnant ».
Dans le cadre du jumelage, la réflexion sur les procédures est en cours poursuit Omar Weslati. « Le service juridique devrait être davantage lié au processus décisionnel. Nous allons profiter de cette expérience avec la Belgique et du jumelage pour mettre en place une commission d’enquête à la HAICA (un moniteur, un rapporteur et le service juridique). L’objectif serait que cette commission puisse siéger avant le Conseil pour mieux le préparer. ».
Retirer le meilleur
La richesse d’un tel jumelage, c’est de mette en exergue les forces et les faiblesses des instances concernées. De retour de Tunis, Marie Coomans, Conseillère juridique du CSA, estimait que « la meilleure voie se trouve sans doute au milieu ». À l’heure de la transition démocratique en Tunisie, Salah Essersi est enthousiaste à l’idée de voir aboutir un tel projet. « Tous les membres du Conseil et une partie du personnel ont été invités en Belgique et ailleurs dans le cadre du jumelage. Son importance est fructueuse pour comparer nos missions et adopter les meilleures solutions pour les deux organismes. Nous allons ramener en Tunisie le meilleur du jumelage. ».
(Entretien avec Omar Weslati, Vice-président de la HAICA, et Salah Essersi, membre du Conseil de la HAICA, réalisé par Mélissande Boyer, attachée de coopération pour le Jumelage à Bruxelles)