La protection des mineurs sur les plateformes de partage vidéo : les prémisses d’un grand chantier !

Régulation | Régulation

Par Geneviève Thiry, Conseillère Protection des mineurs au CSA  

Après deux années électorales où la préparation, le suivi et le contrôle du déroulement des élections sur les médias audiovisuels ont été la priorité, c’est aujourd’hui la protection des mineurs qui revient au premier plan. En effet, la nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels adoptée le 14 novembre 2018 va entraîner d’importantes modifications sur cette matière.  

Quelles en sont les modifications principales ? 

Tout d’abord une extension du champ de la régulation aux plateformes de partage de vidéos, qui devront prendre des mesures en matière de protection des mineurs et de diffusion de discours de haine. Pour la protection des mineurs stricto sensu, les évolutions portent surtout sur trois points.  Premièrement, les obligations qui s’appliquent aux services linéaires et aux services non linéaires ne sont plus distinctes mais sur les deux types de services, les contenus « les plus préjudiciables » (pornographie et violence gratuite) seront soumis aux mesures les plus strictes. En Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), ce type de contenus est actuellement interdit sur tous les  services de médias audiovisuels (SMA), linéaires comme non linéaires. Deuxièmement, les éditeurs devront fournir une information sur la nature du contenu qui justifie une signalétique relative à l’âge : sexe, violence,… Et troisièmement, les données personnelles des mineurs acquises par les entreprises via les systèmes de protection mis en place ne peuvent être utilisées à des fins commerciales.  

Quelles sont les implications de ces changements pour le public, les médias, le régulateur… ? 

Pour le public, le système devrait apparaître plus cohérent puisque les mesures de protection bien assimilées sur les médias traditionnels vont enfin s’étendre aux vidéos sur les PPV même si les mesures en question seront adaptées à chacun des modes de diffusion. D’après certaines remarques et questions qui nous ont été adressées, il y avait une forme d’incompréhension dans le fait qu’internet paraissait exempt de régulation. Différentes législations s’appliquent bel et bien sur l’internet mais il est vrai qu’en matière de protection des mineurs, les mesures mises en place relevaient de l’autorégulation uniquement et, compte tenu des états d’origine des plateformes, n’étaient pas toujours adaptées à la perception d’un public européen. Pour les médias, il était souhaitable que des services concurrents dans une certaine mesure soient soumis à des règlementations comme ils le sont eux-mêmes. Toutes ces règlementations, tant sur la protection des mineurs que sur la limitation des discours de haine, doivent bien sûr être envisagées dans le contexte de la liberté d’expression et ses limites telles que prévues par la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme de l’Union européenne.   

Bientôt, la directive sera transposée dans le droit belge 

A présent, la directive doit être transposée dans un décret de la FWB. Cette part du travail revient au Parlement.  Celui-ci fixera le cadre général et les objectifs en matière de protection des mineurs et de lutte contre les discours de haine ainsi que de prévention d’infractions relatives au terrorisme, à la pédopornographie et à la xénophobie. Puis, il peut déléguer au Gouvernement l’adoption de mesures ou d’obligations plus précises. La directive elle-même comprend déjà un nombre important de mesures en ce qui concerne les plateformes de partage vidéo (PPV), qu’il faudra rencontrer. L’on ignore cependant de quel degré de délégation disposera le gouvernement et le degré de précision qu’il inclura dans d’éventuels arrêtés.  

Deux éléments peuvent être pris en compte dans cette réflexion. Premièrement, la directive encourage le recours à la corégulation, selon les conditions qu’elle prescrit -notamment l’intervention de l’Etat in fine si les objectifs ne sont pas atteints, dans la mise en œuvre des mesures adoptées sur les PPV et des mesures de nature éditoriale sur les SMA « traditionnels ». Deuxièmement, l’expérience montre qu’un encadrement réglementaire trop directif et précis dans ses exigences ne permet pas aux opérateurs de s’adapter avec suffisamment de souplesse aux innovations, technologiques en particulier. D’une manière générale, ils devraient pouvoir développer une certaine créativité dans la mise en œuvre des solutions qui leur permettent d’atteindre les objectifs protectionnels fixés par le législateur, en fonction de l’évolution du paysage audiovisuel (diversification des types de services et des modes de distribution, développements technologiques, environnement concurrentiel lié notamment à la situation législative dans les pays voisins homophones,… ) et des choix éditoriaux -et commerciaux- qu’ils posent.  

Vers une corégulation?  

Dans l’avis qu’il a rendu au Gouvernement sur la transposition de la directive, le Collège d’avis se prononce clairement en faveur d’un système de corégulation, en particulier en ce qui concerne les aspects technologiques de l’accès conditionné aux programmes. De manière générale, les acteurs souhaitent être associés à la définition des obligations qui les concernent.  

Finalement, quelle que soit la part d’intervention du gouvernement dans la définition de ces obligations et, surtout le degré de précision qu’il y apporte, une part de la responsabilité de la mise en œuvre des mesures préconisées relèvera de la corégulation. Un chantier important s’ouvrira alors pour le régulateur et le secteur associé. 

Dans cette optique, le CSA prévoit donc de faire un état de la situation, dans un premier temps, sur les mesures de protection des mineurs applicables sur SMA et PPV, en répertoriant les pratiques existantes, éditoriales et techniques, règlementaires comme autorégulatoires. Une importante partie des mesures listées dans la directive, qui seront donc a priori obligatoires pour les PPV, concernent également la lutte contre les discours discriminatoires et devraient faire l’objet d’un processus corégulatoire -à définir. L’inconnue reste la latitude que le législateur et le gouvernement accorderont au secteur.   

Enfin, ce chantier pose également la question de l’articulation entre la régulation et l’éducation aux médias, cette dernière apparaissant comme un élément de plus en plus indispensable dans l’usage des supports médiatiques. L’éducation aux médias fait désormais également l’objet d’obligations dans la directive SMA. Une partie des mesures relatives à la protection des mineurs et à la lutte contre les discours discriminatoires relèvent d’ailleurs de cette matière.  

Le CSA et le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM) ont posé les bases de leur collaboration, notamment en créant un groupe de travail commun qui permettra aux deux instances d’échanger des informations et de s’associer sur certaines thématiques qui les concernent toutes deux.  

C’est donc un long et passionnant travail qui commence, dont plusieurs données sont encore inconnues, et au cours duquel plusieurs intervenants seront amenés à collaborer dans un objectif d’intérêt général qui rend ces sujets particulièrement attractifs.  

Découvrir l’ensemble du dossier La régulation

   Send article as PDF